Faire face à des fausses couches: une perte invisible

SouffranceMort et DeuilFéminité

L'article qui suit est un extrait de mon livre récemment paru aux Éditions Clé: Elles ont vu la fidélité de Dieu: 16 femmes témoignent.


Je ne sais pas pourquoi le Seigneur choisit que nous ne voyions pas le visage de certains de nos enfants avant qu’ils ne voient le visage de Dieu.

Barrett Craig (un ami de longue date)

Les cris de Karine résonnaient à travers les murs fins comme du papier qui séparaient nos appartements. Je me demandais ce qui avait pu provoquer un gémissement aussi viscéral de la part de ma voisine, d’habitude si douce et si posée. Je n’ai pas eu à attendre longtemps pour le découvrir, car elle et son conjoint Pascal étaient censés souper chez nous ce soir-là. Une fois le repas terminé, la conversation a pris un tour sérieux.

Karine s’est tournée vers Pascal et lui a demandé: "Est-ce que je dois leur dire?" Elle s’est mise à pleurer et j’ai tout de suite compris. "J’ai fait une fausse couche tôt ce matin", a-t-elle dit. "Comme vous avez fait vous-même deux fausses couches, nous avons pensé que vous pourriez nous aider à surmonter cette épreuve."

Ce soir-là, mon mari Dan et moi avons parlé avec franchise des symptômes physiques que j’avais ressentis les deux fois: des crampes intenses, des semaines de saignement, un déséquilibre hormonal, etc. Nous avons également évoqué le tourbillon d’émotions par lequel nous étions passés: chagrin, confusion, colère, jalousie, peur, et j’en passe. Mais surtout, nous avons partagé le réconfort et l’espoir de l’Évangile qui nous avaient portés à travers la vallée de l’ombre de la mort. Ce faisant, les paroles de 2 Corinthiens 1.3-4 ont résonné dans mon esprit:

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père qui est plein de bonté, le Dieu qui réconforte dans toutes les situations. Il nous réconforte dans toutes nos détresses, afin qu’à notre tour nous soyons capables de réconforter ceux qui passent par toutes sortes de détresses, en leur apportant le réconfort que Dieu nous a apporté.

Notre rencontre sur Internet: un conte de fées

Dan et moi, nous nous sommes rencontrés en 2004 sur un site pour célibataires chrétiens. Les rencontres en ligne, qui semblent aujourd’hui assez courantes, étaient un choix étrange pour deux diplômés de faculté de théologie qui se dirigeaient vers un ministère vocationnel interculturel. Pourtant, la main providentielle du Seigneur a indéniablement œuvré à notre union. J’avais consacré ma vie à la mission en Afrique lors d’un voyage au Sénégal à l’âge de 18 ans et, au cours de la décennie qui avait suivi, je n’avais pas rencontré un seul homme ayant le même appel. J’ai donc tenté le coup des rencontres en ligne et je suis tombée sur le profil d’un homme qui se préparait à devenir missionnaire en Afrique.

Lorsque nous avons commencé à échanger, j’ai découvert qu’il se rendait non seulement en Afrique, mais plus particulièrement au Sénégal. Plus encore, il prévoyait de servir dans la formation théologique, le domaine même dans lequel je souhaitais mettre à profit mes dons et ma formation.

Les heureux jeunes mariés

Un an plus tard, Dan Thornton et moi nous sommes mariés dans l’Église de campagne où il avait été baptisé. Nous avons passé notre première année de mariage à chercher des partenaires, tout en vivant dans une cabane en rondins construite dans les années 1850 située sur le terrain de l'église. Vu que nous nous étions mariés assez rapidement après notre rencontre, nous avons décidé de profiter de notre première année de vie commune avant d’essayer d’avoir des enfants. Mais comme nous étions tous deux dans la trentaine, nous savions que, du point de vue biologique, il y avait une certaine urgence. C’est ainsi qu’un an plus tard, presque jour pour jour, nous avons entamé notre projet de concevoir un enfant.

Ma première grossesse

Nous vivions alors à Charlesbourg, au Québec, où Dan étudiait le français au programme de l’Université Laval. Je parlais déjà français et je me consacrais à l’apprentissage de la cuisine et de la pâtisserie, des compétences qui me manquaient mais qui étaient essentielles sur le champ missionnaire!

Quelques semaines plus tard, j’étais enceinte de notre premier enfant. J'ai tout de suite annoncé la nouvelle à notre famille et à nos amis proches et éloignés. Malgré les nausées et les malaises très présents, j’ai entrepris de m’informer sur tout ce qui avait trait à la grossesse et à la maternité. Je me suis procurée des livres sur tout ce qui touche le sujet, et j’ai continué à suivre un régime alimentaire sain et à faire régulièrement de l’exercice. Quant à l’équipement pour bébé, j’ai essayé d’en emprunter la plus grande partie ou de m’en passer, car nous n’avions pas le luxe d’emporter un berceau, une baignoire pour bébé ou un parc pour enfants lors de notre voyage en avion vers le Sénégal.

La fausse couche à laquelle nous ne nous attendions pas

Alors que j’arrivais à la fin de mon premier trimestre, je me réjouissais à l’idée d’être enfin soulagée de mes incessantes nausées (dont j’avais lu qu’elles s’atténuaient normalement après les trois premiers mois de grossesse). Puis, un dimanche soir, d’atroces crampes abdominales m’ont tirée de mon sommeil. J’ai réveillé mon mari, qui m’a fait couler un bain alors que je gémissais en position fœtale. J’avais lutté toute ma vie contre des crampes menstruelles intenses, mais la douleur que j’éprouvais dépassait tout ce que je n’avais jamais ressenti.

Avant que je puisse me glisser dans l’eau chaude, tout doute quant à la possibilité que je fasse une fausse couche s’est évanoui lorsque j’ai commencé à avoir une grave hémorragie. Dan et moi ne savions que faire. Nous avons pensé aller en hâte à l’hôpital, mais j’avais trop mal pour bouger. À quoi bon, me demandais-je? Mon bébé pouvait-il survivre dans l’utérus alors que j’avais perdu autant de sang?

“Ces fauteuils sont pour les nouveaux papas”

Lorsque les rayons du soleil ont percé l’obscurité de notre appartement, nous avons trouvé la force de nous habiller et de nous rendre à l’hôpital. Une fois le triage effectué, une infirmière nous a conduits dans une salle d’examen et a fermé un rideau autour de nous pour plus d’intimité. Dan s’est assis à côté de moi dans un petit fauteuil à bascule. Le visage de mon mari, pâle d’épuisement et taché de larmes, était tout comme le mien. Ma perte était la sienne, et le fait que son corps n’ait pas porté notre enfant ne la rendait pas moins douloureuse.

Alors que nous attendions qu’un médecin vienne m’examiner, un aide-soignant a écarté le rideau et a dit: “Monsieur, je vais devoir prendre le fauteuil. C’est pour les nouveaux papas.” Les mots qu’il a prononcés ont été comme des flèches tirées directement dans le cœur de mon bien-aimé. Bien sûr, cet employé de l’hôpital n’avait aucun moyen de savoir que nous venions de perdre un bébé, mais l’ironie de la situation ne nous a pas échappé. Dan est resté debout ou assis maladroitement sur le bord de mon lit jusqu’à ce que le médecin vienne m’ausculter.

Ce à quoi personne ne nous avait préparés

Le médecin a confirmé ce que nous savions déjà. Nous avions perdu notre bébé. Puis, il m’a proposé trois choix: faire un curetage, prendre un suppositoire vaginal pour ralentir les saignements, ou ne rien faire. Je ne savais pas ce qu’était un curetage, mais cela semblait invasif. Ne rien faire ne me convenait pas non plus, car je saignais encore abondamment. J’ai donc opté pour la deuxième solution.

Je dois ajouter qu’en tant qu’américaine, j’étais habituée à payer pour chaque pansement et chaque point de suture. L’idée d’un curetage me semblait donc non seulement invasive, mais aussi coûteuse. (Et je n’étais pas complètement à côté de la plaque. Une recherche rapide sur Google révèle qu’aujourd’hui, aux États-Unis, une personne assurée paiera près de 5 000 dollars pour un curetage, et 10 000 dollars si elle n’a pas d’assurance maladie).

Ce n’est que plus tard que j’ai appris que le système de santé sociale canadien m’aurait entièrement couverte, quelle que soit la procédure choisie. De plus, le curetage était une intervention simple et peu risquée qui m’aurait évité de subir des hémorragies pendant tout le mois suivant. Mais personne ne me l’a expliqué. Cela est probablement dû au fait que, pour certains médecins, les fausses couches font tellement partie de leur quotidien qu’ils peuvent parfois oublier que, pour beaucoup d’entre nous, elles sont tout sauf routinières. Cela s’est avéré être l’une des nombreuses décisions que j’ai prises dans l’ignorance lors de cet événement auquel personne ne m’avait préparée.

Une lacune dans la littérature

Le fait est que peu d’entre nous abordent leur première grossesse en s’attendant à ce qu’elle se termine de cette façon. La plupart des femmes veulent avoir des pensées positives au cours du premier trimestre. On leur dit que s’inquiéter pourrait augmenter le niveau de stress et conduire à ce qu’elles redoutent le plus. Bien que je ne suggère pas qu’il faille être obsédée par le pire, je recommande de s’y préparer. L’ignorance ne rend pas service au couple et peut entraîner une peur et une douleur accrues lorsque le pire se produit. Étant donné qu’une grossesse sur quatre se termine par une fausse couche, il est regrettable de constater que peu de matériel est conçu pour préparer un couple au scénario probable de la perte de l’enfant à naître.

Après avoir perdu notre premier bébé, je me suis interrogée sur cette lacune dans la littérature. Je me suis demandée comment j’avais pu être aussi mal équipée, tant sur le plan médical qu’émotionnel, pour faire face à ce que j’ai vécu dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi.

Un livre qui nous a aidé à faire notre deuil est Dans les bras de Dieu: Comment garder espoir après la perte de son enfant, de John MacArthur. Alors que nous nous demandions où se trouvait notre petit, ses réflexions théologiques nous ont donné toutes les raisons, non seulement d’espérer, mais aussi de savoir que nous le retrouverons au ciel.

Une seconde chance

Cette réalité n’a cependant pas fait disparaître la douleur, mais le Seigneur était avec nous dans notre chagrin. Lorsque la vue d’un jeune couple avec sa poussette déclenchait des vagues de tristesse, Dan et moi nous appuyions l’un sur l’autre et nous accrochions à la bonté de Dieu. “Il guérit ceux qui ont le cœur brisé, et il panse leurs blessures” (Ps 147.3 NEG). Nous nous sommes rappelés l’un à l’autre que, si le Seigneur voulait que nous ayons des enfants, il ferait en sorte que cela se produise.

Quelques mois plus tard, je suis tombée enceinte pour la deuxième fois. Avec appréhension, nous avons partagé la bonne nouvelle avec un groupe plus restreint d’amis et de membres de la famille. Nous espérions le meilleur, mais nous nous préparions au pire. Une fois de plus, la nausée est devenue ma compagne constante, mais mon obstétricienne m’a rassurée en me disant que c’était bon signe, car cela indiquait que la grossesse était normale et que le bébé se développait bien. Elle a ajouté qu’elle s’inquiétait davantage pour les femmes qui ne présentaient aucun symptôme de ce type.

Pourtant, malgré nos prières et celles de nos proches, l’histoire s’est répétée. Le Seigneur a appelé à lui notre deuxième enfant. Nous ne pouvions que nous faire l’écho de la prière de Job:

L’Éternel a donné, l’Éternel a repris: que l’Éternel soit béni!

Job 1.21

La médaille de la maternité

Un an plus tard, Dan et moi nous sommes installés au Sénégal sans enfant. Cela ne faisait pas partie de nos projets. Et dans une culture qui accorde une telle importance à la maternité, j’avais parfois l’impression d’être une demi-femme. C’est alors que j’ai dû me rappeler que ma capacité à avoir un enfant ne détermine pas ma valeur. C’est le fait d’être unie à Christ dans sa mort et sa résurrection qui le fait (Ga 2.20, Col 3.1-3). Et même si nos rêves de parentalité ne devaient jamais se concrétiser, Dan et moi serions père et mère des fils et filles spirituels auxquels le Seigneur nous permettrait de consacrer notre vie.

Le moment choisi par le Seigneur

Je suis tombée enceinte pour la troisième fois au cours de notre premier mandat au Sénégal. Nous n’en avons parlé qu’à nos parents et à nos amis les plus intimes. Une fois de plus, les nausées, les maux d’estomac, la fatigue, la salivation excessive et la faim insatiable m’ont hantée. Cette fois-ci, l’inconfort des nausées a été aggravé par le fait qu’il n’existait pas une seule chaîne de fast-food nord-américaine au Sénégal. Mes envies insatiables de femme enceinte n’ont donc pas pu être satisfaites. La nuit, je rêvais de Taco Bell et le matin, j’endurais la déception de me réveiller sans burrito. 😀

Puis, un matin, je me suis réveillée et je n’étais plus malade. Au lieu d’avoir l’impression de sortir d’un long et turbulent vol transatlantique, je me sentais pleine d’énergie et motivée. De plus, l’odeur omniprésente du poisson frit de mes voisins ne me dérangeait plus. Nous n’étions donc plus obligés de garder toutes nos fenêtres fermées pendant les heures chaudes de la journée. Je me sentais à nouveau vivante! Et surtout, notre bébé était lui aussi en vie! Ensemble, nous avons survécu à ce premier trimestre risqué.

Les cadeaux de la joie et de la victoire

À mesure que mon ventre grossissait, annonçant au monde qu’un enfant grandissait en moi, les amis et les inconnus l’ont remarqué. Le fait de voir une occidentale enceinte vêtue de tenues africaines rendait les gens heureux: “Tu es si belle!”, me disaient-ils. “Merci de t’habiller comme nous!” Une bonne chose que je n’aie pas peur d’attirer l’attention!

Mes deuxième et troisième trimestres ont filé à toute allure. Des amis aux États-Unis m’ont organisé une baby shower* virtuelle, et Amy, une de mes colocataires de l’université, a utilisé ses miles aériens pour nous rendre une visite spéciale depuis San Francisco.

À l’approche de la date prévue de mon accouchement, Dan et moi faisions face à l’inconnue, mais nous le faisions avec une grande impatience à l’idée de tenir enfin notre fille dans nos bras. J’ai donné naissance à Isabella Joy le dimanche 1er mars 2009 à la Clinique de la Madeleine à Dakar, au Sénégal. Près de quatre ans plus tard, sa sœur Évangéline Victoria nous a rejoints le dimanche 16 décembre 2012.

Dieu est fidèle. Point final.

Telle est notre histoire. Ou du moins, telle est une partie de notre histoire. Mais de peur que ce récit ne communique involontairement quelques clichés de fins heureuses sortis d’une banale comédie romantique hollywoodienne, je tiens à être claire: toutes les épreuves ne se terminent pas dans la joie de ce côté-ci du ciel.

Je suis de tout cœur avec les couples dont l’histoire comprend l’angoisse des fausses couches, mais pas le don d’une nouvelle vie. Ce que Dieu nous a appris, à Dan et à moi, à travers notre histoire, c’est qu’il n’a pas promis de nous préserver des afflictions, mais plutôt d’être avec nous au milieu d’elles.

Dans Ésaïe 43.1-2, l’Éternel fait la promesse suivante:

Maintenant, l’Éternel qui t’a créé, ô peuple de Jacob, et qui t’a façonné, ô Israël, te déclare ceci: Ne sois pas effrayé car je t’ai délivré, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu passeras par les eaux, je serai avec toi, quand tu traverseras les fleuves, ils ne te submergeront pas, quand tu marcheras dans le feu, il ne te fera pas de mal et par les flammes tu ne seras pas brûlé.

Même si Dieu nous a bénis en nous donnant deux filles précieuses, il nous a aussi permis de perdre notre cinquième enfant par une fausse couche après la naissance d’Évangéline. Dieu s’est servi de la perte de trois de nos petits pour enraciner dans nos cœurs les paroles de Paul dans 2 Corinthiens 4.16-18:

Voilà pourquoi nous ne perdons pas courage. Et même si notre être extérieur se détériore peu à peu, intérieurement, nous sommes renouvelés de jour en jour. En effet, nos détresses présentes sont passagères et légères par rapport au poids insurpassable de gloire éternelle qu’elles nous préparent. Et nous ne portons pas notre attention sur les choses visibles, mais sur les réalités encore invisibles. Car les réalités visibles ne durent qu’un temps, mais les invisibles demeureront éternellement.

* La Baby Shower est une fête courant aux État-unis. Elle permet de se réjouir entre proches de l’arrivée d’un nouveau-né.

Angie Velasquez Thornton

En équipe avec son mari Daniel, Angie a servi le Seigneur au Sénégal pendant 10 ans dans la formation des leaders. Installés à Montréal avec leurs 2 filles depuis août 2017, ils servent dans leur Église locale et dans l'AEBEQ. Angie est titulaire d'un MDiv de Moody Theological Seminary. Elle est coanimatrice du podcast Chrétienne avec Aurélie Bricaud, Responsable du ministère féminin de SOLA (TGC Québec), animatrice de sa chaîne YouTube d'enseignement textuel, blogueuse chez TGC Canada et auteure et éditrice du livre Elles ont vu la fidélité de Dieu aux Éditions Clé en partenariat avec TPSG.

Ressources similaires

webinaire

Si Dieu est bon, pourquoi autant de mal?

Découvre le replay de ce webinaire de Guillaume Bignon, enregistré le 11 décembre 2018, qui traite de la souveraineté et la bienveillance de Dieu.

Orateurs

G. Bignon